Dans la société sans espèces imposée par la pandémie mondiale, on pouvait s’attendre à un ralentissement de la criminalité financière. Du moins, tout le monde pensait qu’elle diminuerait sur le front physique, les escrocs se tournant vers des méthodes numériques.
Si quelques cas de fraude et d’activités criminelles ont bien été détectés et si la cybercriminalité a globalement augmenté, aucun nouveau comportement de placement ou d’empilement n’a paru anormal. Bref, rien de plus traçable que des espèces affluant dans des activités, licites néanmoins, qui reposent lourdement sur des opérations en liquide. Ou rien pour l’instant du moins qui mérite d’être signalé.
Disons simplement que certains criminels ne se sont pas comportés comme prévu face à la pandémie. Il se peut que de nouveaux comportements financiers aient vu le jour mais ils ne semblent pas détectables dans l’immédiat.
Impact du sans-espèces sur la criminalité
Une augmentation de la cybercriminalité était escomptée (et elle a bien eu lieu), mais tous les escrocs ne sont pas doués en informatique. Quelles solutions ont donc trouvé ceux qui font habituellement leurs affaires dans la rue ?
Des millions de dollars de drogue se négocient dans les rues de Los Angeles et les revendeurs de drogue britanniques profitent des dérogations au dispositif de confinement pour déplacer leur marchandise déguisés en travailleurs essentiels en cette période de crise. Quelques aménagements ont dû être opérés au niveau du trafic de stupéfiants, mais la demande du marché est toujours là. Et avec des millions de personnes en chômage technique ou licenciées et des prévisions de récession à long terme, il serait naïf d’escompter une baisse de la consommation de stupéfiants.
Toutefois, ces malfrats se trouvent confrontés à un cruel dilemme : ils parviennent à récolter beaucoup d’argent liquide, mais ils ne peuvent pas le placer dans le système financier sans attirer l’attention. Les gros dépôts d’espèces font sourciller tout établissement financier qui a mis en place des règles élémentaires de supervision des transactions en temps normal. Lorsque la population renonce majoritairement à l’argent liquide pour limiter les contacts avec d’autres personnes, un apport soudain d’espèces est d’emblée suspect.
Sous couvert d’autres prestations, les revendeurs de drogue les plus avertis peuvent accepter des paiements numériques, en utilisant le blanchiment de revenus obtenus sous couvert d’activité commerciale pour éviter de se faire remarquer par les établissements financiers. Mais il semble que beaucoup continuent à opérer sans se préoccuper de la vitesse à laquelle ils peuvent convertir leur argent sale en fonds licites.
Une société sans espèces n’est pas une solution contre la criminalité financière. D’une part, la situation est provisoire puisque l’argent liquide reviendra et, d’autre part, cette solution ne tient compte que d’une partie du problème. De nombreux secteurs continuent en effet à dépendre de l’argent liquide, et ce malgré l’arrivée de modes de paiement dématérialisés que les consommateurs tendent à préférer désormais ou tout simplement parce qu’ils leur évitent de devoir transporter du liquide.
Aide publique
De même, certains secteurs dépénalisés représentent un haut risque pour les établissements financiers ou bien ils ne sont pas assez strictement légaux pour justifier leur entrée dans le système financier mondial et recourent donc beaucoup à l’argent liquide.
La prostitution est dépénalisée en Espagne depuis 1995, mais de nombreux travailleurs du sexe sont soumis aux pratiques criminelles des proxénètes et des trafiquants. Et la demande n’a pas non plus diminué avec les mesures de confinement.
Faute de pouvoir justifier de leur situation professionnelle d’avant la pandémie mondiale, ces travailleurs du sexe ne peuvent pas prétendre à l’aide publique et ceux qui peuvent quitter leur lieu d’hébergement doivent faire la queue dehors pour se nourrir. À cause du virus, ils ne peuvent pas utiliser l’argent liquide qu’ils auraient autrement envoyé comme d’habitude à leur famille restée au pays via une agence de services monétaires ou un service de virement bancaire comme Western Union.
Beaucoup d’autres personnes connaissent le même sort et se retrouvent exclues du système financier mondial à cause de leurs difficultés spécifiques. Au final, elles ne peuvent ni ouvrir un compte pour y déposer de l’argent, ni faire des achats de première nécessité.
Ce qui ne devrait pourtant pas être un problème toutefois pour les banques modernes. Pour ceux qui ne peuvent pas produire de justificatif de domicile, les travailleurs du sexe ou les sans-abri par exemple, l’autorisation d’accéder à et d’utiliser un compte bancaire très restreint pourrait suffire à prévenir les problèmes de blanchiment d’argent.
Contrecoup d’une société sans espèces et criminalité financière
Le contexte actuel apporte un éclairage exceptionnel sur la manière dont les sociétés s’organisent pour pallier l’absence d’argent liquide. Si une société sans espèces n’est pas un problème pour beaucoup, elle a pourtant d’importantes retombées négatives qui n’ont pas été identifiées.
Cela ne concerne pas seulement des personnes non bancarisées ou concernées par les politiques d’inclusion financière. En faisant trop confiance à la technologie sans-espèces, nous risquons de laisser le champ libre à la cybercriminalité.
C’est souvent à l’argent liquide que sont attribués la plupart des mouvements de fonds illégaux, mais rien ne prouve que l’argent au format numérique soit plus facile à suivre. En fait, il est probable que la rapidité du système financier augmentera une fois les espèces retirées de la circulation. Or, c’est la vitesse et la complexité des mouvements d’argent qui rendent le blanchiment d’argent si difficile à suivre.
Lorsque la pandémie sera derrière nous et que l’impact de la crise sur les mouvements de fonds commencera à être analysé, il pourrait s’avérer que la disparition des espèces ne fasse que faciliter encore plus les activités criminelles, sous une forme plus sophistiquée parvenant à contourner la phase de placement si longtemps dominée par l’argent liquide.
Publié initialement 01 juillet 2020, mis à jour 24 août 2022
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